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Teenage angst has paid off well, now I’m bored and old.
J’ai rêvé cette nuit que j’étais en soirée en Suisse avec Krist Novoselic. Tout le monde parlait de l’anniversaire de la mort de Cobain et moi, je pensais qu’en 1994, je n’aurais pas imaginé passer le 20e anniversaire de cette mort en Suisse, et encore moins avec Novoselic.
Et je crois que c’est tout.
Ce matin, j’en ai ressorti ce texte sur In Utero commencé en 2007 et jamais fini. 6 ans que je sèche dessus. In Utero m’impressionne, je dois le prendre trop au sérieux parce qu’il est générationnel. Moins que Nevermind, bien sûr, mais quand même. Dans les années 90, il était difficile de faire un pas sans tomber dessus au détour d’une soirée, d’une émission de radio ou d’un djinegueule. In Utero est un des rares disques qui mettent vraiment tout le monde d’accord autour de moi, un essentiel, la transition entre le rock ampoulé des années 80 et celui des années 90, qui mettra près d’une décennie à digérer l’héritage de Cobain.
Je me souviens mal de l’annonce de sa mort. J’étais trop occupé à me faire larguer. Mon 9 avril 1994, c’est un retour à Charleville-Mézières pour un Burger King et Wayne’s World 2 au ciné avec les gros, un rendez-vous avec un bus au lycée pour partir en Angleterre avec ma classe de seconde et une lettre de rupture apportée par je-ne-sais-plus quel émissaire. La suite, je la passe sur le pont arrière d’un ferry à déprimer sur Rime of the Ancient Mariner d’Iron Maiden1, fin de l’histoire. La version morte de Kurt Cobain ne m’apparaît que quelques heures plus loin, à Covent Garden ; les étals débordent déjà de T-shirts « Kurt Cobain 1967-1994 » ornés de la célèbre photo au pistolet. Pas mort depuis 2 jours et déjà sanctifié. Plus fort que Jésus.
J’avais rencontré l’album à la rentrée précédente, chez mes cousins. Le clip de Heart-Shaped Box passait à la télé. On y voit Nirvana surplombé par un christ au bonnet de Père Noël crucifié, jouant dans un champ de coquelicots où rôde une gamine en uniforme du Ku Klux Klan. C’est Corbijn qui a signé la réalisation. Je cours acheter la cassette single. C’est malsain, c’est enragé, c’est beau, c’est le single qu’il me fallait. Avec Heart-Shaped Box on erre dans le brut, le vrai, organique et pas plastique, rongé et pas poli. C’est un tout nouvel univers, bien plus difficile d’accès que Nervermind. Nirvana montre son vrai visage de groupe perturbé tentant tant bien que mal de freiner le tourbillon médiatique qui l’a emporté dans le sillage de Smell Like Teen Spirit. Parce que si le label, Geffen, souhaite réitérer le coup de Nevermind, Nirvana veut seulement faire ce qui lui plaît. D’où les prises de bec autour de la pochette, du mix et même du titre. La légende dit que Cobain voulait intituler l’album I Hate Myself and I Want to Die pour se faire boÿcotter par Walmart et plomber les ventes.
Point de Walmart en France, c’est au Monoprix de la gare que je chope ma cassette de l’album. Enfin, que ce mec du dortoir d’à côté à qui je l’ai rachetée 20 balles la vole, ce qui reste un peu punk quand même, car nous faisons la nique au système en sabotant les ventes, ce qui plairait sûrement à Cobain. Les autres morceaux d’In Utero transpirent la même rage brute. Là où Nevermind, lissé par Andy Wallace2, vulgarisait le rock indé auprès des masses, In Utero, écorché par Albini3, est intransigeant, rauque, crasseux et saturé. Une bonne moitié de mes potes de collèges, rockeux dilettantes qui avaient adoré Nevermind, détestent. Les autres portent définitivement le groupe aux nues, tandis que les métalleux avec qui je traîne, « les vrais », rigolent bien devant « tout ce tas de glameux qui croÿent écouter du rock alors que Nirvana c’est qu’un groupe commercial bon pour les rappeurs qui écoutent Fun Radio ». Dur de choisir un camp. Mais In Utero l’emportera sur la longueur, petit à petit. Bien sûr, la prolifération de certains titres (Rape Me en tête) à la radio et dans les chambres de l’internat lui vaudra quelques années de mon purgatoire personnel (dont Rape Me, d’ailleurs, n’est toujours pas sorti). Mais arrivé en 2004, quand j’achète enfin le CD après avoir laissé tout ça décanter 10 ans, je constate qu’In Utero a remarquablement survécu. Les années se sont envolées, mais l’essentiel reste : Heart-Shaped Box, bien sûr, mais aussi Serve the Servants (à mon sens une des meilleures ouvertures d’album qui soient), Milk It, tourette’s, All Apologies… pas la peine de citer tout l’album. Si j’avais dit de Nevermind qu’il restait actuel, l’ultime Nirvana l’est encore plus. L’ensemble est brut, sauvage, intelligent et inédit, à tel point que s’il sortait aujourd’hui, In Utero finirait encore dans les meilleurs albums de l’année.
La parenthèse Nirvana se ferme avec In Utero (l’Unplugged fera office de testament). 2 années et demi fulgurantes auront suffi pour que ce groupe venu de nulle part démocratise des influences jusque-là obscures, façonne le visage d’une bonne moitié de la décennie et implose aussi vite qu’il avait explosé. Dans la brèche laissée vide par Nirvana s’engouffreront une nuée de groupes plus ou moins bons et tout fiers de se définir comme post-grunge et alt. rock. De mon côté, je retournerai au métal pour un an ou deux mais, au final, j’y reviendrai aussi. Et de constater que si, à l’époque, je préférais Nevermind malgré tout, aujourd’hui c’est le contraire ; In Utero m’est plus actuel et il ne fait aucun compromis.
Nirvana a éduqué les masses. Sans eux, les Pixies et Steve Albini seraient toujours aussi obscurs et PJ Harvey n’aurait jamais marché aussi bien. Nirvana a pris sa carrière à rebrousse-poil, captant l’attention générale avec du consensuel puis partant vers l’intransigeance et le parti-pris, là où les artistes prennent habituellement le chemin inverse pour rencontrer le succès à tout prix. Nevermind s’est vendu à 30 millions d’exemplaires, In Utero à 15. À ce rythme, Cobain aurait retrouvé l’audience plus intime dont il rêvait au bout de 5 ou 6 disques. Qu’il n’ait pas eu le courage d’attendre est regrettable et triste mais, après tout, ainsi naissent les légendes : faire un gros faux-pas, c’est s’en éviter beaucoup de petits.
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1. Cf. épisode no 12.
2. Cf. épisode no 4.
3. Que Cobain était allé chercher parce qu’il avait produit deux de ses albums favoris, Surfer Rosa des Pixies et Pod des Breeders