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2 167 jours et 40 disques plus tard.
La série reprend ici et maintenant (ahah) pour trois raisons : un message de monsieur C., d’Île-de-France, qui m’a suggéré de m’y remettre ; la ressortie d’In Utero, qui m’a rappelé que je bloque dessus depuis près de 6 ans et que je décide donc de sauter, quitte à y revenir plus tard ; et, surtout, parce que je viens d’acheter mon quatrième Be Here Now.
Ce n’est pas mon record. J’ai aussi eu quatre 101 : un double CD en boîtier plastique trouvé en octobre 2004 chez Encore, à Ann Arbor, et donné plus tard ; un autre en carton, beaucoup plus classe (et fidèle à mon souvenir d’enfance) dégoté chez Gibert en 2006, déposé à la rédac’ presque aussitôt pour que Dave Gahan la signe… et perdu corps et âme ; un deuxième en carton acheté chez Crocodisc en 2007 et, pour finir, le double 33-tours de mon père (sur lequel il a noté son nom quand je lui ai emprunté, pour bien indiquer qu’il s’agit du sien. Je l’ai eue, finalement, ma copie signée). En 2008, Into the Wild m’a tellement emballé que, cette année-là, j’en ai offert 6 ou 7 exemplaires à d’autant d’anniversaires. Mes quatre Be Here Now sont à part, car ils sont encore tous en ma possession. Tous pour de bonnes raisons.
Après avoir découvert D’You Know What I Mean? — de loin l’intro d’album la plus pompeuse et géniale de tous les temps — à la radio, j’achète le premier le matin du 18 octobre 1997. Le jour du mariage de ma sœur. Comme on m’empêche de l’écouter ce jour-là — sous prétexte qu’un mariage de sa sœur, c’est plus important qu’un nouvel Oasis —, je l’oublie jusqu’à la fin de l’année. Parce qu’à l’époque, j’écoute plutôt Definitely Maybe. Qu’on m’avait filé en cassette en 1993, que j’avais écouté rapidement, puis laissé de côté, puis retrouvé. Parce qu’en 1993, j’écoutais plutôt des Maiden des années 80. Toujours un train de retard. Mais je m’égare. Je le ressors quand Stand by Me arrive à la radio début 1998. C’est son côté lumineux, à la Live Forever, qui m’y pousse. Mais j’y reste pour autre chose.
La plupart des fans d’Oasis est tombée dedans grâce à leurs deux premiers albums. Moi, c’est Be Here Now qui m’a décidé. Sûrement parce que mes morceaux préférés des deux précédents sont Columbia, Bring It on Down et Morning Glory. Les plus lourds, les plus énervés, les plus désinvoltes. Trois facettes d’Oasis que Be Here Now développe à longueur d’album, ajoutant à son penchant Beatles un délire à la Brian Wilson. C’est un pavé dense, lourd, interminable, mégalomane, les Gallagher en font des caisses, traînent en longueur et n’en finissent pas de finir en collant à la suite 9 min 20 s d’All Around the World, puis 7 min d’It’s Getting Better (Man!!), puis 2 min 8 s de REPRISE d’All Around the World, pour la route, parce qu’on avait peur de manquer. Et c’est ce qui est génial. Pour peu qu’on soit sensible aux répétitions inlassables (8 fois le refrain dans All Around the World, 32 fois les « nanana » dans It’s Getting Better (Man!!), au gigantisme des arrangements et aux envolées des cuivres, on tient le meilleur album de l’histoire du rock. Et tout le monde le hait. Ces pas qui résonnent vers une porte qui claque, à la toute fin de l’album, c’est la planète qui tourne le dos à Oasis après avoir porté leurs deux premiers albums aux nues. Les critiques le détestent, les Gallagher le détestent, tout mon entourage — à part deux personnes dont je préfère protéger l’anonymat — le déteste, toi-même, lecteur, le déteste sûrement, mais je l’adore. Il n’y a pas de dimanche matin parfait sans Stand by Me. Je ne compte plus les avions que j’ai pris en écoutant Don’t Go Away. Le déluge sonique de D’You Know What I Mean?, l’arrogance de My Big Mouth, l’urgence de I Hope, I Think, I Know, la désolation de Fade In Out, le déchirement de Magic Pie et le trio de titres interminables qui concluent Be Here Now dans le meilleur générique de film-qui-finit-bien du monde complètent ce tableau aux traits gras, aux nuances criardes, aux couches entassées sans aucune retenue, à des lieues des compositions plus légères qu’avaient été Definitely Maybe et Morning Glory. Il paraît qu’autant de grandiloquence et de surenchère, ça sent son album fait sous cocaïne à plein nez. Aucune idée. Pour moi, il sent plutôt les croque-messieurs que ma grand-mère me donnait quand je repartais à Metz et que je réchauffais pendant deux heures de route et de Be Here Now sur le désembuage de la 205, parce que je n’avais pas de micro-onde chez moi. Cette même 205 qu’on me pète le 5 septembre 1998 pour me voler Be Here Now en même temps que Cocoon Crash, de K’s Choice, et mon sac de linge sale, qui contenait TOUS mes ticheurtes de hard rock. Je rachète les deux albums, je ne retrouve pas les ticheurtes. C’est la mort du métalleux, la disparition du hardos, la fin de l’âge de poil. Puis je retrouve les disques sous le siège de la voiture. Ça me fait deux Be Here Now pour le prix de deux.
Je l’écoute pendant une centaine d’allers-retours de 205 sur l’E411 en 1999, puis il part avec moi à Détroit en 2001, où Don’t Go Away passe régulièrement à la radio. Puis il disparaît pendant quelques années, avant de resurgir le 16 août 2007. À Amsterdam. Chez Concerto, sur Utrechtsestraat. 47 € pour la version fan-club du CD, une boîte en édition limitée, au format 33-tours, contenant l’album et un livret de photos de l’enregistrement. Manque que l’odeur de croque-monsieur. J’écrase une larme, je prends. Le bonhomme oublie de mettre le disque dedans. La boîte vide la plus chère de ma vie. Mais je m’en fous, je l’avais déjà en double et maintenant, on le voit bien dans ma collec’.
Il y aura quelques autres épisodes, tous avec la même bande-son. Des descentes de montagne, des avions, des tours de vaisselle, une victoire en blind-test à Paris en reconnaissant Magic Pie au bout d’une seconde des grésillements pluvieux qui l’ouvrent et des couchers de soleil. Avant d’arriver en septembre 2013, quand je tombe sur cet Anglais qui brade ses vinyles d’Oasis. Je lui chope un Be Here Now presque neuf, acheté le jour de la sortie, paraît-il. Et tout revient : le mariage, la 205, l’hiver 1998, les kilomètres, les avions, les dimanches, les envolées, les avions, les please don’t cry, never say die, Amsterdam, les couchers de soleil et les croque-messieurs.
Planqué derrière, au fond du colis, un Definitely Maybe tout usé.
Extraits
Tout l’album est à écouter très fort, sur Diseur, Spotiphy ou ailleurs. Je m’en tiendrai ici au fameux clip de D’You Know What I Mean? avec les hélicoptères et la bath parka de Liam Gallagher.