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Mon premier vrai t-shirt de méchant est un « Third World Posse » de Sepultura racheté 20 balles en 3e au grand frère d’un pote, un black-métalleux poilu et déjà mué à qui il n’allait plus. Je l’ai toujours, grisâtre et perclus de trous au fond d’une armoire chez les parents1. À l’époque, je m’en étais autorisé l’achat parce que j’avais une cassette d’Arise dans mon étagère, justifiant ainsi mon statut d’amateur averti de thrash metal brésilien, un alibi incontestable face au scepticisme des autres. Parce que dans un collège, c’est toujours comme ça : tout groupe de fans juvénile, craignant d’être infiltré par l’ennemi, passe son temps à traquer les traîtres qui infestent son sein en pratiquant à haute dose auto-émulation [« comment je suis trop plus fan que toi, mate j’ai appris la durée de tous les titres par cœur »] et interrogatoires type Gestapo [« Ah ouais ? T’es fan ? Et pourquoi t’as attendu la fin de la journée pour aller acheter le nouvel album plutôt que de sécher le cours de français comme nous, bouffon ? »]. En détenant Arise, pas de problème, je pouvais arborer avec une certaine fierté l’artéfact rock n’roll pour lequel j’avais sacrifié le budget d’un mois sans que l’on mît en doute une seconde mon statut d’authentique. Top cool.
Cela dit, mon seul souvenir d’avoir écouté Arise plus de 10 secondes est lorsque nous vendîmes du boudin blanc grillé aux badauds à l’arrière du presbytère le 11 novembre 1992. Mais passons.
Parce qu’en vrai, ce qui m’a initialement séduit chez Sepultura, bien avant leur bruit musique, c’était leur S tribal. La frime sur un T-shirt2, le S tribal. Le reste passait moins bien. Donc lorsque, arrivé en seconde, alors que je rends visite à mes anciens potes de collège un samedi (j’ai entre-temps bougé de 60 bornes pour aller au lycée), le Lacaille me tend la cassette de Chaos A.D. fraîchement sorti, je la prends par réflexe, toujours pour justifier cet amourette graphique dissimulée sous une fausse appréciation musicale, mais sans grand espoir.
Ce que je ne sais pas, c’est qu’entre Arise et Chaos AD, Sepultura est passé du bruit à la musique, ce que beaucoup de leurs fans originels leur reprocheront3. En restant à peu près dans la même zone de décibels, le quatuor canalise toute son énergie dans une seule direction, comme un laser sonique. L’ouverture, un Refuse/Resist émergeant des battements en hélicoptère menaçant du cœur de Zion Cavalera ― filial fœtus de Max, chanteur hurleur ― enregistré à l’échographie et résonnant comme un hélicoptère menaçant volant au ralenti, est un cri de révolte hargneux, pas tant rapide que déjà survolté. De tout l’album, c’est le titre le plus connu, puisque je ne sais plus quelle pub de manga l’avait repris en bande-son autour de 1995-19984. Son titre donne le ton de l’album : Ici tout n’est question que de révolution, de refus du totalitarisme et des l’inégalités de ce Brésil corrompu dans lequel ont grandi Sepultura. Entre Propaganda [« Why don’t you get a life and grow up? »], Slave New World (« Face / The enemy / Stare / Inside you / Control / Your Thoughts / Destroy / Destroy’em all » qu’en seconde on s’écrivait tous dans l’agenda), Biotech Is Gozilla (sur les manipulations génétiques), Manifest (sur les émeutes de la prison de Carandiru, réprimées dans le sang le 2 octobre 1992), la prise de position est évidente, les paroles compréhensibles5 et leurs phrasés hautement scandables. Entre animosité virile et enragée et intelligence du propos et de la compo, Chaos A.D. se pose au parfait point d’équilibre qui donnera à Sepultura l’envergure considérable qui sera la leur dans le hard-rock d’alors. Mais surtout, l’album voit poindre le virage que prendra franchement le combo trois ans plus tard. En filigrane presque imperceptible sur We Who Are Not as Others, mais avant tout dans l’hommage à cette tribu amazonienne se suicidant en masse plutôt que d’abandonner le coin de forêt d’où on voulait l’exproprier, le folko-tribal Kaiowas, l’ovni de l’album, un instrumental acoustique enregistré sur fond de mouettes et véritablement incontournable. Ce titre deviendra un essentiel des concerts du groupe, qui le jouera en tapant sur des bidons comme des cinglés. Des années après, au bureau à l’école, on se passera encore sa version live à fond les manettes en tapant sur toutes les armoires pour bien que l’amphi d’à côté t’entende comme il faut.
Mais avant ça, Iron Maiden mis à part, Chaos A.D. est un des albums majeur de ma seconde, celui sur lequel je tombais d’accord avec le Gag’, mon jumeau hard-rock de l’époque, celui que j’irai acheter pour 160 balles en édition limitée dans une boîte en fer ― ornée du S ― contenant également un drapeau6 et trois titres bonus, dont l’énorme Polícia, reprise en électrochoc du standard rock brésilien de Titãs. Avec tous les maillots de fouteballe jaunes et bleus que portait Sepultura dans les magazines de l’époque, je ne peux le dissocier de la coupe du monde 1994. Il me durera quelques années avant que je m’en lasse. La boîte en fer trône toujours sur l’une de mes enceintes et me sert depuis 20 ans à ranger des pièces qui n’ont plus cours. Le boîtier, lui, a toujours mon nom au marqueur écrit dessus, vestige de l’époque révolue où plutôt que de se pointer chez ses potes les mains dans l’ipod, on y traînait sa discographie. À ne plus porter de cartons de disques et à écouter Justice et Mika, rien d’étonnant à ce que les jeunes de maintenant aient de petits bras.
1 Pas le black-métalleux, hein, vous aurez compris.
2 En plus d’être la frime, le S tribal sur un T-shirt est également bien plus facile à ôter une fois que l’on a changé de goûts artistiques que son cousin germain le tatouage tribal.
3 Mais ça, on s’en fout un peu.
4 La date précise m’échappe.
5 Je précise, parce qu’en matière de thrash metal ce n’est pas toujours évident.
6 En sortant du magasin, des mecs se foutront de notre gueule pendant qu’on mate le drapeau, « ouah, c’est pour la raie du cul ! », bande de têtes de guiches, je sais pas pourquoi je m’en souviens, mais je m’en souviens.
Extraits
- #1 – Refuse/Resist
- #3 – Slave New World
- #5 – Kaiowas
- #6 – Propaganda
- #17 – Policia
Bonus
- La version de Kaiowas du Live Under a Pale Grey Sky enregistré en 1996 pour le dernier concert d’avec Max et sorti seulement en 2002. Ça valait largement les 8 ans d’attentes et avec ça mon pote, si l’amphi d’à côté t’entend pas comme il faut, je ne peux plus rien pour toi. À écouter toutefois après la version originale ci-dessus parce que sinon c’est gâcher.