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En 1992, tous mes potes se sont mis au hard-rock. Slayer, Sepultura, Megadeth et Faith No More circulent autour de moi sans que je picore leurs cassettes. Au lieu de ça, je reste cantonné dans les disques de ma sœur, ainsi que dans quelques erreurs de jeunesse commises courant 1991. « J’aime trop de groupes », expliqué-je. Déjà 5 ou 6, facile. En ajouter compliquerait tout. Le déclic ruinant mes résolutions viendra de la seule radio décente que l’on peut capter dans le coin à l’époque : Skyrock1. Mon entrée dans Nevermind, comme pour les trois quarts de la planète pourvus d’oreilles cette année-là, s’y fait à travers Smell Like Teen Spirit, enregistrée sur ma cassete compil’ toujours à l’affût dans le magnétophone de ma piaule, moi l’oreille aux aguets, ma touche Enregistrer prête à bondir à la moindre pression sur Pause. Le morceau est un choc. Sauvage, nerveux, balourdé par une bande de cradingues sautant dans un gymnase dont le chanteur braille manifestement la bouche pleine de yaourt. Cet été-là, je fais découvrir la chose aux parents dans la voiture qui nous emmène en vacances. Échec cuisant. Même son de cloche chez mes potes du collège : Nirvana est catalogué « glam2 ». Dans la même semaine, fin août 1992, je tombe sur Fear of the Dark, qui me fera un choc plus violent encore. Le single Come as You Are ne me fait ni chaud ni froid, pas plus que le suivant, Lithium. À tout hasard, je copie quand même le Nevermind que mon beau-frère a fait entrer chez moi en venant tripoter ma sœur, puis le range plus ou moins au placard, m’orientant vers ma suite. Je n’y reviendrai qu’en 1994, après In Utero et les événements du 5 avril. tout d’abord conquis par Breed, titre rectiligne et stratosphérique lancé par un Dave Grohl furax, puis Territorial Pissings, de loin mon titre préféré de l’album, sorte de creuset punk en fusion concentré dans 142 secondes chauffées à blancs3. Si Polly4 et Something in the Way font partie de mon décor musical d’alors, je me retrouve plutôt courant 1995 dans la fin de l’album, restée à l’écart des projos et dominée par Stay Away et On a Plain, plus écorché que Lounge Act et Drain You, pour leur part taillés dans la même veine qu’In Bloom : mélodies efficaces, percutantes comme brillantes, mais handicapées par un son trop lisse collant plutôt mal à Nirvana. Cobain s’en plaindra d’ailleurs après coup, tenant le mixage d’Andy Wallace5 pour responsable. In Utero, 2 ans plus tard, présentera un son bien plus rauque, brut, trempé au fond du garage dans des barils de cambouis. Nirvana sous un jour plus vrai. D’un autre côté, un Nevermind bénéficiant du même son aurait suivi le chemin de ses prédécesseurs des Pixies, Sonic Youth ou Dinosaur Jr., ou que Gish des Smashing Pumpkins sorti en même temps sur le même label : un album d’initié, vendu à 3 copies et restant au fin fond de l’underground où Nirvana serait resté culte. Cobain n’aurait alors pas succombé à la pression à 27 ans, mais à une overdose quelque années plus tard dans l’anonymat d’un Elliot Smith, baigné d’une aura plus intense mais moins universelle. Au lieu de ― et grâce à ― ça, Nevermind aura su lever un coin de l’ombre sur ces derniers comme on remarque un iceberg à sa partie émergée. Groupes comme fans de rock, beaucoup lui doivent d’avoir ouvert une brèche à travers son implacable single. Smell Like Teen Spirit, un « hit évident » qui, à la différence des autres, reste inusable même après avoir servi des millions de fois de passerelle vers ce monde musical. Passez-le en soirée aujourd’hui, vous obtiendrez la même hystérie collective qu’en 1992. Peut-être même plus. Aujourd’hui, on peut aimer sans honte Smell Like Teen Spirit et singer son solo à la guitare en carton au milieu parce qu’il n’y a plus de jingle NRJ à la fin. En deux décennies, le single a lavé la réputation « commercialo-glam » que (mes) les ayatollahs métalleux lui avaient craché à la gueule. Sans perdre de ses qualités d’hystérisant pour danse-flores. À sa façon, Nevermind, malgré les années, malgré la poussière qu’il emmagasine dans l’étagère où je l’ai posé en 20046, reste aussi actuel qu’un Tokio Hotel. Mais alors bien meilleur.
Extraits
- Smell Like Teen Spirit (1992 – N/A)
- Breed
- Territorial Pissings (1994 – #1)
- Stay Away
- On a Plain
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1 Et oui, jeune lecteur incrédule. Il fut une époque, bien avant que ton papa et sa maman se mettent la petite graine, où Skyrock diffusa effectivement du rock. Dingue, non ?
2 Chez mes potes d’alors, par un décret du 27 avril 1992, seront considérés comme glam des groupes comme Def Leppard, Bon Jovi, Guns n’Roses et Nirvana, par opposition à de vrais groupes comme Morbid Angel, Napalm Death, Massacra et Death. Le terme signifie pour eux du hard-rock pas assez violent et par trop commercial, extension du glam metal proprement dit, bon à laisser aux faux hardosa débarquant du reggae et prenant le train en marche. En y repensant aujourd’hui, je me demande s’ils auraient pas mieux fait de fonder une version thrash metal des Inrocks, mes potes du collège.
3 1er de mon top 20 en 1994. Parce que oui, je suis le genre de mec bizarre capable de ressortir 13 ans après son top 20 de 1994.
4 Dont la version de Nervemind reste cependant bien en-deçà de celle enregistrée pour la BBC en novembre 1991 et disponible sur Incesticide.
5 Pourtant producteur de Slayer et Sepultura, donc habitué du gros son qui tache.
6 Parce que je ne l’ai acheté qu’en 2004, pour 3 $ à Ferndale, Michigan. Une des premières éditions, sans Nameless Endeless planqué à la fin, dont la curieuse particularité est cette bande de caoutchouc qui l’entoure comme une chambre à air de vélo.
a Ahaha, le vocabulaire de l’époque, toute une histoire.