Depeche Mode – 101

Autodiscobiographie #1

#1
Label : Mute
Sortie : 13 mars 1989
Producteur : Frazer Pennebaker

Premier vrai souvenir marquant. 1er janvier 1990, émergeant mollement au lendemain d’un réveillon dans un dancing belge, un live résonnant dans tout l’étage et la voix de ma sœur expliquant à ma mère que « puisque tu m’as demandé de le réveiller, autant que je l’éduque en même temps ». La musique, c’est Strangelove, craché par la platine de la piaule d’à côté.

C’est mon père qui a acheté le vinyle. Ma sœur l’écoute tout le temps, et moi je le découvre enfin ce matin-là. Je l’adopte. Il me suivra partout. Encore maintenant, j’ai l’impression que tout chez moi vient de ce disque : l’amour des lives, associé à une imagerie en noir et blanc orchestrée sur sa pochette par Anton Corbijn. On me repasse le 101, je me revois aussitôt dans mon lit de l’époque, sa couverture brune et son couvre-lit en napperon moche. Ou ouvrant sa boîte devant mon magnétoscope. Parce que le 101, c’est aussi un film du même ton, un documentaire fonçant comme un road movie à travers l’Amérique pré-90’s vers la date finale de la tournée 1988, le 18 juin au Rose Bowl de Pasadena devant 75 000 cinglés, où est enregistré le disque. Derrière le groupe, que le réalisateur DA Pennebaker capte sur et derrière la scène, quelques gagnants d’un concours organisé par une radio new-yorkaise, dont le prix est de suivre la tournée. Fringués comme dans un épisode des Années collèges, les mecs et les filles n’arrêtent jamais, vivant une fête itinérante de ville en ville, de salle en salle, qui n’a de répit que pour quelques heures de sommeil dans un motel ou pour refaire le plein de bières dans des grocery stores miteux. Lors de l’arrivée en Californie, la rencontre sous un porche entre la troupe de fans et ce latino arborant un T-shirt Guns n’Roses ― dont le premier album vient de sortir, juste un an avant ― symbolise pour moi le passage de flambeau qui va s’opérer juste après : la résurgence du rock face à l’électronique, de la guitare face au clavier, du cheveu gras face à la laque, dont beaucoup de groupes des années 80 ne se relèveront pas1.

La bande-son du film, donc, qui constitue l’album, voit Depeche Mode proche de son sommet, défendant sur scène la bombe Music for the Masses, sortie l’année d’avant, et encore résistant à la pression qui les menace. On est en 1988, bien avant les problèmes de drogue d’un Dave Gahan le visage encore poupin, tranchant avec sa face émaciée de 1993 ; bien avant le quasi-split de 1995 et le départ d’un Alan Wilder qui ne tient plus. Démarrant sur un Pimpf vampirique, ponctué de morceaux rythmés renforçant cette sensation de road-movie dont la tête bouffe son guidon (Behind the Wheel, Pleasure Little Treasure, A Question of Time) et agrémenté des chœurs d’une foule de 75 000 âmes en extase, le 101 culmine sur Stripped et Black Celebration, puis va plus loin encore sur le monumental Never Let Me Down Again ― et son brassage d’air collectif mené par Gahan, toujours d’actualité ― et le double final Just Can’t Get Enough / Everything Counts.

Jusqu’à l’année dernière, ce disque fut des années durant ma seule expérience live de Depeche Mode. J’en ai usé ma cassette jusqu’à la corde en la passant dans mes walkmans et dans les bus de tous mes voyages du collège, récupéré le double 33-tours de mon père et le 45-tours d’Everything Counts qui allait avec, puis progressivement arrêté de l’écouter autant. Avant de le retrouver en CD fin 2004 chez Encore Records à Ann Arbor. Le testant sur les routes michiganoises, je l’ai redécouvert prenant toute sa saveur sur l’asphalte ricain, là où il était né. Comme un vieux pote qui te présenterait sa maison après des années, te laissant le redécouvrir. Une re[con]naissance.

Extraits

  • Behind the Wheel
  • Stripped
  • Pleasure Little Treasure
  • A Question of Time (1991 – #3)
  • Never Let Me Down Again (1991 – #1)
  • Everything Counts (1996 – #57)
  • Route 66 (Bing Crosby cover) (Beatmasters mix) ― Générique de fin du film

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1 Sauf Depeche Mode, justement, via Violator puis Songs of Faith and Devotion. Nous y reviendrons.