À peine le temps d’arriver, Melissa Auf Der Maur s’est évanouie dans la nature. Le programme trouvé sur place est formel : Mogwai passait sur la grande scène dès 17h, en même temps que la belle rousse. Les sets sont rachitiques : une demi-heure pour tout le monde, sauf pour Interpol qui dispose d’une heure, et pour The Cure, bien sûr. Des échantillons de chaque groupe. Un sampler géant. Pressant le pas, j’arrive juste à temps pour voir The Rapture, sur la grande scène. L’amphithéâtre comporte deux sections, l’une proche de la scène avec des places assises, et l’autre tout autour sur une pelouse en pente. La fosse de derrière est maigrement remplie et les gradins devant, déserts. Luke Jenner grimpe sur les barrières pour s’approcher du public qu’il distingue au loin, à contre-jour, mais sa tentative est vaine. Il y a un vide intersidéral entre The Rapture et la pelouse. Et en plus, là-haut, ça se préoccupe beaucoup plus de combos pizzas-bière que de musique. Jenner tente la voie sentimentale en hurlant son désarroi face à tant de dédain sur I Need Your Love, Mais non. Pizzas et bières. On sent la démotivation pointer son nez dans les rangs du groupe, et la fin du set est expédiée rapidos, sans grand entrain. Un House of the Jealous Lover à peine remarqué. Il est déjà temps d’aller rejoindre Muse sur le parking.
Parking of the World
Oui. Muse. Au fond d’un parking. Sur une scène tellement exiguë qu’elle doit leur rappeler leurs premiers jams de lycéens, dans une cave de Teignmouth. Mais même dans ces conditions, Muse fout le feu. Sans ballon, avec des lights minimalistes et un set édulcoré à l’extrême, Muse réussit quand même à conquérir les 900 personnes présentes. Guitare au poing. L’ambiance est bonne dès le début pendant que les Anglais attaquent Hysteria. New Born et sa transition folle du piano à la guitare réveillent tout le monde. TSP entretient la flamme. Chris Wolstenholme chante de plus en plus, partageant le refrain avec Bellamy. Après un Butterflies and Hurricanes dont le solo dingue au piano commence franchement à provoquer des mouvements de foule, Time Is Running Out enfonce le clou et Stockholm Syndrome vient clore prématurément le set alors qu’on commençait seulement à s’amuser. J’en ai même vu sauter sur place. Les gens en redemandent comme ce gamin sur les épaules de son père qui fait de grands signes. Muse salue, le public répond par une bardée de bras en l’air. On ne le sait pas encore, mais cette 9e date de Muse sur le Curiosa Festival était la dernière. Le lendemain, Chris se cassera le poignet et le combo devra rentrer prématurément à Londres.
Vin blanc, costards noirs
De toutes les formations présentes au Curiosa, Interpol est celle qui montre les plus évidentes influences curesques. Dans l’atmosphère qu’ils dégagent, surtout. Les New-Yorkais, costard-cravate et vin blanc à la main, nous trimbalent du malaise dépressif de NYC à celui plus oppressant de Roland ou de Say Hello to the Angels, taillés dans l’urgence. Paul Banks, les yeux mi-clos la moitié du temps, enrobe de sa voix monocorde le coucher de soleil. Carlos Dengler enchaîne au ralenti les poses rock’n’roll sur sa basse, pendant que Daniel Kessler va de son micro à la batterie voir si Sam Fogarino va bien. Obstacle 1 provoque des rumeurs dans la foule, et Leif Erikson tisse une toile de tristesse dans laquelle l’amphi est pris au piège. Tirées d’Antics, nouvel album à paraître le 27 septembre, Evil, NARC et Slow Hands témoignent de la nouvelle orientation prise par Interpol. La batterie est plus présente, au point de prendre des accents discos. Les riffs restent compulsifs, mais se montrent plus entraînants, et surtout, Banks ose. Sa voix s’envole, l’Interpol nouveau est plus léger et donne l’impression d’avoir beaucoup écouté ce que faisaient Radio 4 et Franz Ferdinand, avant d’enregistrer Antics. L’accueil est chaleureux, Paul Banks remercie dans un souffle, et toujours statique, attaque PDA. En plein milieu, le dernier titre est coupé par un passage au noir salué par la foule: plus un son, scène éteinte, pendant 10 secondes. Un riff retentit, les lumières se rallument, Interpol finit le morceau et s’en va. Ce groupe a un don pour faire des chansons qui s’énervent sans perdre leur flegme. Même leurs notes portent des costards. Et elles boivent du vin blanc. Sûrement.
Hard Cure
The Cure a deux types de public. Les fans hard-core connaissent sur le bout des doigts leur répertoire, jusqu’à la Face B du pressage javanais du single de 1873. Les fans « radiophoniques » s’en tiennent à ce que les ondes leur ont amené jusqu’aux oreilles, sous forme de Love Cats ou autres Close to Me. Ce soir, les hardcore sont pas des masses. Il y en a, bien sûr, tous collés devant la scène, à attendre The Cure comme les bigotes attendent le Pape à Lourdes. Mais ils sont noyés sous le nombre de fans des autres groupes et de touristes. Ça ne les empêche pas de crier très fort quand les lumières s’éteignent. De hurler quand le groupe fait son entrée sur scène, entamant Plainsong. De devenir hystériques quand Robert Smith apparaît à son tour. Une fille lui tend une enveloppe. Il se penche, la saisit, se retourne devant la batterie pour la lire, puis répond d’un clin d’œil complice à sa fan, qui n’est plus qu’un sourire géant. Le frontman revient vers son micro et donne le coup d’envoi d’un set résolument tourné vers l’arrière. À part 5 titres de The Cure – Labyrinth, The End of the World, Before Three, Us or Them et alt.end – tout ce que nous sortent Robert et sa bande est estampillé années 80, The Head on the Door (1985), Pornography (1982) et Disintegration (1989) en tête. La scène passe du vert au rouge, la foule est éclairée par des spots roses qui la tachent en blanc. Derrière, un écran géant fait dans le poético-psychédélique, avec des fourmis vertes, des levers de lune et des paysages montagneux. Robert Smith ne bouge presque pas. La seule activité qu’on puisse voir sur scène vient des mouvements du bassiste Simon Gallup. Pour le reste, rien. Les premiers rangs chantent tout bas et saluent chaque chanson au bout de trois notes. À l’arrière, The End of the World et In Between Days font deux cartons, mais au bout d’une heure, on sent une certaine torpeur gagner la pelouse. J’en vois même un ou deux tourner les talons et quitter le concert.
Mais Robert a roulé sa bosse. Des publics, il en a maté des plus coriaces. Après Disintegration, The Cure revient pour un rappel qui sera pour beaucoup l’essence même du show : à peine Close to Me commencé, tout le monde est déjà debout. C’est comme si 7 000 des 12 000 personnes présentes venaient de se réveiller. La foule entière donne de la voix. Smith rétorque avec Friday I’m in Love. C’est du délire. Toute la pelouse danse et devient hystérique sur Just Like Heaven, qui précède le final Boys Don’t Cry. En 5 minutes, on est passé d’un set lymphatique à une véritable communion musicale. The Cure est récompensé par une ovation interminable. Pour avoir fait un rappel réconciliant tous leurs fans, d’abord, mais surtout pour avoir emmené en tournée un line-up de groupes de rêve. Bien sûr, le Curiosa Festival aurait été parfait avec des sets plus longs pour Auf Der Maur, Muse, Mogwai et The Rapture. Mais au moins, ça donne de bonnes raisons d’en refaire un l’année prochaine.
Interpol – Hands Away