2 jours, 5 scènes, 80 artistes et surtout 40 °C à l’ombre. Le Coachella Valley Music Festival 2004, au milieu du désert californien, fut torride. Et la présence de groupe chaud bouillants n’a rien arrangé. Retour sur un week-end où The Cure, Radiohead, The Pixies et Muse, entre autres, ont aggravé la canicule.
La route 10 serpente mollement dans le désert, traversant le néant d’étendues sablonneuses et de montagnes escarpées. Sur la route, les champs d’éoliennes qu’on traverse sont comme des ventilateurs inefficaces devant la chaleur ambiante. De Los Angeles à Indio, 200 km plus loin, on se croirait pèleriner sur la route 66. Un road-trip au milieu de nulle part pour une grand-messe nommée Coachella. Avec comme icônes Radiohead, The Cure, Muse et, dans le rôle des réincarnés de service, The Pixies.
Belfort américain
C’est écrit à l’entrée d’Indio : Nous sommes dans « la ville des festivals ». En 5 ans et 4 éditions, le Coachella Music And Arts Festival est devenu le plus important de la ville, puis de la région. En 2003, déjà, l’affiche était impressionnante, avec Ben Harper, The White Stripes, Iggy Pop and the Stooges et en invités locaux les Red Hot Chili Peppers. Coachella avait alors attiré 33 000 personnes sur un week-end. Cette année, avec les allures de dream-team de la liste des groupes annoncés, pas étonnant que les 70 000 billets aient été vendus bien avant le début des festivités. Pour vous faire une idée, Coachella c’est un peu le Belfort américain. LE festival à ne pas louper ici. Et d’après les plaques des voitures sur le parking, y en a qui sont venus de loin. Coachella a été lancé en copiant les gros festivals européens, après le succès remporté par ses ancêtres Woodstock 94 et 99. L’affiche est donc éclectique et mélange rock, pop et electro, comme à Belfort. Il y a une scène principale dans une petite cuvette, comme à Belfort. Il y a un gros chapiteau blanc avec une scène plus petite, comme à Belfort. Et en plus de ça, il y a deux autres petits chapiteaux et une scène en extérieur, pas comme à Belfort. Je n’irai pas dans le détail, mais une température ambiante de 45°C et la présence de palmiers et de bikinis nous rappellent que justement, on n’est pas à Belfort.
C’est samedi, c’est bronzage-party
Le samedi 1er mai démarre avec un bel après-midi. The Sounds réveillent le public de la grande scène avec énergie. Ils finissent chacune de leurs chansons comme si c’était leur dernière. Kinky de son côté provoque une véritable fiesta latino grâce à tous les Mexicains présents dans le public. À première vue, le groupe aurait pu s’appeler Mexican Dub Foundation. Beck, lui a été programmé en toute dernière minute sur une scène trop petite, et tout le monde s’est rué pour le voir. Le chapiteau déborde, on ne voit rien de son set acoustique. Je passe mon chemin, dommage. Sur la grande scène, je tombe sur la prestation de The (International) Noise Conspiracy. Fidèles à leur réputation, les Suédois y vont de leur message politique. Dennis Lyxzén invite la foule à se débarrasser de Bush. Le public hurle son consentement. Tout le week-end, les groupes vont tenir le même discours anti-Bush. Ça va donner à Coachella de faux airs de Woodstock lyophilisé. Du sable à la place de la boue et l’Irak en guise de Vietnam. The (International) Noise Conspiracy joue fort et bien, mais malgré tous ces efforts le public reste quasi-immobile, même s’il réagit de la voix et des mains. À se demander si c’est la chaleur qui fait ça… Sparta, qui passent juste après, rencontrent les mêmes problèmes. Le public applaudit, hurle, mais ne bouge pas d’un poil. Pas de gens qui sautent, pas de slams, on n’est pas à Belfort, ici. Et honnêtement, ça enlève du charme à une prestation séduisante, au cours de laquelle on a pu découvrir des titres de Porcelain, le nouvel album, qui sort en juin.
Desert Sensations
La suite se passe à l’Outdoor Theater. Le premier concert de l’histoire du groupe qui aurait pu donner son nom au festival entier : The Desert Sessions. Josh Homme est là, entouré de toute sa petite famille. Il y a Dean Ween (Ween), Mark Lanegan (ex-Screaming Trees, ex-Queens of the Stone Age), Alain Johannes et Natasha Shneider (Eleven) et même sa copine, Brody Dalle de The Distillers. Ils sont venus de pas loin, puisque le Rancho de la Luna, leur légendaire studio, est à quelques encablures de Coachella. Ça ressemble à un vaste laboratoire musical : toutes les tendances se greffent sur le hard rock prêché par Homme pour donner un ensemble lancinant et énervé. Comme écrasé par la chaleur, mais ruant dans les brancards quand il le faut. Honnêtement, je ne vois pas quel cadre pourrait mieux coller à ce concert. Le moment est historique, personne n’a vu The Desert Sessions sur scène jusque-là. Mais au même moment, tout aussi historique, The Pixies s’apprêtent à renaître. Le public quitte Homme et Compagnie pour aller s’entasser devant la grande scène.
Pixies gone to heaven
Si j’étais né en 93 j’aurais pu vous la faire dans le style : « Un chanteur qui hurle comme Kurt Cobain et l’ancienne chanteuse de The Breeders sont les éléments-clés de ce groupe dont le principal hit semble être sa reprise du Where Is My Mind? de Placebo ». Mais vous avez de la chance, je suis né un peu avant 93. Franck Black avait expliqué lors de l’annonce de leur reformation que The Pixies s’étaient tout d’abord tous retrouvés à Los Angeles pour se remettre dans le bain : jouer ensemble et voir si l’alchimie pouvait reprendre. Ce soir, c’est le point culminant du tour de chauffe de 11 dates qui ont mené les Pixies de Minneapolis jusqu’ici. Quand ils arrivent, c’est la folie. Il faut dire que plus personne ne s’attendait à les revoir un jour. Mais ils sont bien là, tous ensemble, pour de vrai ! À peine Bone Machine entamée, c’est comme s’ils n’étaient jamais partis. Autour de moi, c’est l’extase. Des sourires béats à perte de vue. S’ils étaient là, ils auraient tous le même sourire : Thom Yorke, Brian Molko, Kurt Cobain ou Eddie Vedder, tous ceux qui se réclament des Pixies. Sur scène, Black Francis renoue avec ses hurlements hystériques sur Debaser et U-Mass. Kim Deal suit, sur les chœurs de Monkey Gone to Heaven, Here Comes Your Man et toute seule sur Gigantic. La foule adore. Elle bouge toujours pas, mais elle adore. Sur Vamos, le guitariste Joey Santiago devient dingue et se met à attaquer sa guitare avec une baguette de batterie, puis une canette de bière. Personne ne cause entre les chansons, mais l’ambiance est tout de même là. Le batteur David Lovering quitte ses fûts pour photographier le public. Ensuite, on a droit à Where Is My Mind?, magistrale, et Into the White, qui clôt les débats. Alors que tout le monde file manger sa saucisse avant que Radiohead arrive, je reste là avec les irréductibles. Combien de vocations de musiciens vont-elles naître grâce à ce concert ? Et combien seront encore suscitées cet été en Europe ? Avant Radiohead, je passe voir The Rapture à l’Outdoor Theater. Là, le groupe a transformé la scène en discothèque et secoue la foule en rythme. Rapture, ça veut dire extase, et beaucoup appliquent le principe. Les gars distillent un vent de folie. Luke Jenner, chanteur déluré, et le bassiste Mattie Safer chantent en chœur sur le même micro. Pour secouer la masse de gens, le quatuor leur sert une pincée d’electro. Jenner se met la guitare sur l’épaule, comme un canon. Il tire à boulets rouges sur le public, sous une pluie de strobos, avec un brin de folie déhanchée. Saisissant.
The Coachella Anthem
Et vient le phénomène Radiohead. Un phénomène dont on a bien failli être privé. Le lundi, un médecin australien soucieux de protéger la joie auditive des masses a interdit à Thom Yorke de chanter pour quelques jours. Pas parce qu’il chante mal (ça se saurait !), mais parce qu’il risque de sérieusement endommager sa voix. La dernière date de la tournée australienne a donc été annulée. Officiellement, la participation de Radiohead est maintenue, mais personne n’est sûr à 100% que les Anglais seront là. À 21h, la marée humaine massée devant la grande scène retient son souffle. Tout à coup, on entend une longue intro. Yorke arrive alors, lançant une espèce de « Ah yeah » dans son micro. 2+2=5 commence. La foule est aux anges, transportée par le chant du major Thom. Ç’aurait été un crime de nous priver de ça. Les jeux de lumières sont impressionnants, les écrans vidéo diffusent des images des membres de Radiohead dans des cadres étroits. Comme si on les regardait par l’entrebâillement d’une porte, histoire d’essayer de mettre un peu d’intimité dans un concert de 50 000 personnes. Le frontman, lui, est le jouet de sa propre musique. Il est en transe sur Sit Down, Stand Up, comme dans une rave-party. Il se convulse sur Idioteque avant d’hurler, les bras ouverts, le micro déboîté, « This one is for the children ! ». Quand on l’entend vomir sa douleur sur Paranoid Android, on comprend que, pour lui, chanter est vital. Sur Creep, il est là, les yeux mi-clos, chantant « I’m a weirdo » avec un sourire en coin, avant d’ajouter « Ouais, je dois être ça, ouais ». Son bras levé pendant No Surprises, appuyant sur la phrase « Governments they don’t speak for us » (les gouvernements ne parlent pas pour nous), avec la foule qui applaudit, on se dit que la vie vaut la peine d’être vécue. Everything in Its Right Place est un final trippant. Et Radiohead s’en vont. Ils ont donné à la vallée sa dose de rock travaillé, évolué, tellement audacieux. On en voudrait plus, mais déjà les roadies vident la scène. Des fans furieux se battent pour une setlist, une baguette de batterie ou le gobelet qui a eu la chance de toucher les lèvres qui nous ont mis dans cet état-là. La fin de la soirée se passe dans les trois chapiteaux. On a l’embarras du choix. À ma gauche, Electric 6, toujours décontractés. Au milieu, Phantom Planet. Ils sont du coin, beaucoup de leurs fans de la première heure sont venus les voir, dans une ambiance de folie. À ma droite, dans le dernier chapiteau, on trouve Kraftwerk. Les papys de l’electro ont remanié leur musique pour l’adapter à notre XXIe siècle moderne. La scène est minimaliste. Quatre pupitres, un écran qui nous bombarde au fond et eux, qui ne bougent pas d’un sourcil. Ils ralentissent le rythme tout au long du rappel, quittant la scène un à un. Quand le dernier part, il ne reste plus rien. La première journée de Coachella vient de se terminer comme dans un rêve. Un rêve qui prend néanmoins un sacré goût de réalité quand on se retrouve coincé pendant 3h dans le parking en attendant que le trafic se débloque…
¡ Muse-icos mexicanos !
Le premier événement du dimanche 2 mai, c’est Muse. Le trio passe en deuxième position sur la grande scène. Je suis entouré de Mexicains sauteurs qui deviennent hystériques dès le début d’Hysteria. Voilà une chanson au nom valable. Le combo semble pourtant un peu crispé au début. Matthew Bellamy se plante sur une ou deux phrases, mais une fois dans le bain, tous les trois se donnent à fond pour convaincre le public que si la planète les adore depuis 5 ans, c’est qu’elle a de bonnes raisons. L’auditoire – pas énorme, la journée ne fait que commencer – ne bouge toujours pas. Seuls les chicanos se remuent un peu, reconnaissant chaque titre, chantant toutes les paroles. Muse peut se lancer dans une tournée mexicaine, ils devraient voir du monde se presser au portillon. Mais avant ça, la colonie latinos les motivent assez pour finir en apothéose, sur Time Is Running Out, Plug In Baby et Stockholm Syndrome. Les ballons blancs sont de sortie, lancés dans le public par des roadies… Pour rafraîchir les gens, Ils ont été remplis de flotte (les ballons. Un roadie, d’habitude, c’est rempli de bière). Un seul explose. Les autres se baladent vite fait dans la foule et reviennent vers la scène, où les roadies les récupèrent en souvenir, ça doit faire classe, au milieu du salon ! Muse terminé, j’arrive à temps pour voir The Thrills et entendre leurs premiers mots : « Merci de venir vous entasser comme des sardines dans ce putain de four, ça nous fait plaisir ». Le chapiteau est bondé, il doit faire 55°C dedans. Le groupe fait participer leur public à un voyage au milieu des seventies des Beach Boys. Le pied. Sur la grande scène, Thursday s’agite et secoue la petite assemblée venue les voir. Pour tout dire, il n’y a pas beaucoup de monde pour apprécier leur metal chapeauté par la voix poignante de Geoff Rickly. Vraiment dommage, ça valait le détour.
Crépuscule au grand Air
Quand Air arrive à son tour sur la grande scène, les esprits semblent s’échauffer. Nos frenchies sont attendus et cela semble les intimider quelque peu. Nicolas Godin est stoïque, on dirait un ange. Une choriste à la voix radieuse suit le chant. Air distille à son public une pop-electro qui rend zen. D’ailleurs, l’odeur de la zen attitude se répand autour de moi. Le soleil se couche, on respire l’Air. On croirait voir une version electro de Simon et Garfunkel. Tiens… !? La choriste à la voix mielleuse est en fait un claviériste barbu déguisé en Francis Lalanne. Ça ne retire rien à ses qualités de « chanteuse ». Air se met en confiance, remercie, « Thank you, merci beaucoup ». L’ambiance monte d’un cran sur Cherry Blossom Girl, Sexy Boy et Kelly Watch the Stars. J’entends des filles se dire qu’elles adorent cet accent français. Ça serait donc pas une légende ?
BRMC : La Bande à Robert a des Micros Cassés
À l’Outdoor Theater, les Black Rebel Motorcycle Club semblent être victimes d’un complot. Le groupe a quitté son label mi-avril. Visiblement, de fieffés fourbes à la solde de l’hydre musicale sont venus saboter le show de leurs ex-protégés. Résultat : les micros se mettent à marcher d’un coup au milieu de la première chanson. Encore 20 secondes et c’est le micro de la grosse caisse qui renaît de ses cendres. Black Rebel Motorcycle Club se confond en excuses, mais bon, ils n’y sont pour rien. Six Barrel Shotgun passe. Stop porte bien son nom : le Motorcycle Club cale en plein milieu, micros coupés, avec juste un reste de batterie. Là, les trois gars sont hors d’eux et décident de finir par un set acoustique surprenant. On croirait voir un autre groupe. Le public, pas solidaire pour un sou, part par petits bouts vers la grande scène, pour aller voir The Flaming Lips. Black Rebel Motorcycle Club continue sur sa lancée acoustique et finit là, assez énervés. Y a des jours comme ça…
The Flaming Circus
Les Flaming Lips ont décidé de profiter de leur position de tête d’affiche pour sortir le grand jeu. Eux, ils ont compris comment on le fait bouger, le public ricain. On le prend, on lui envoie plein de trucs marrants sur scène et l’affaire est assurée. Wayne Coyne débarque ainsi dans une bulle géante en marchant sur les gens. Il y a un cochon, un gros ours, un père noël et toute une ménagerie en peluche sur scène. C’est une vraie kermesse : gros ballons multicolores, machines à fumée et une caméra en œil de poisson sur le micro de Coyne. L’appareil idéal pour une vue imprenable sur l’intérieur de ses narines quand il nous cause. Et il cause beaucoup, Coyne. Il explique qu’il a rêvé qu’il arriverait à Coachella dans une bulle géante de l’hyperespace et nous demande de le raconter à tout le monde. Je m’exécute : dimanche, j’ai vu une bulle géante de l’hyperespace avec un Wayne Coyne dedans. Il nous fait ensuite son speech anti-Bush, puis anti-Schwarzie. On dirait un show catholique de la télé ricaine, en mieux, avec maître de cérémonie et sermons en musique. Les Flaming finissent avec un chant de joyeux « jour de naissance » pour Beck. 50 000 personnes chantent en chœur pour lui et sa femme Morissa, qui vont avoir un bébé 3 semaines plus tard. Je ne vous ai pas parlé de musique ? Normal. Il y avait tellement de choses à voir que j’en ai oublié les choses à entendre. Tout ce dont je me souvienne, c’est que The Flaming Lips sont arrivés sur le Carmina Burana. Ensuite, la musique collait parfaitement bien au spectacle. Un vrai cirque ambulant !
Cure toujours
Diamétralement opposés, The Cure mise tout sur la musique. Le dernier concert du festival démarre avec Lost, un nouveau titre. Tout au long du concert, l’ambiance dans la foule monte progressivement. Grâce à la musique d’une part, et au fait qu’au fur et à mesure, les gens s’en vont, pour éviter les bouchons de la veille. À la fin ne restent que les fans invétérés et ceux qui sont venus en vélo. La voix de Smith n’a pas vieilli. Ses paroles lui tiennent toujours autant à cœur. Rock’n’roll attitude oblige, il a le visage marqué mais l’expression de celui-ci attire les regards vers l’écran géant. Ce qu’il chante lui vient de loin. Sa guitare aussi ressent sa hargne. À chaque chanson, elle se retrouve avec une ou deux cordes en moins. On a droit à 3 nouveaux morceaux tirés de l’album à paraître le 29 juin, mais le reste du répertoire fait, pour le moment, plus d’effet. In Between Days et Just Like Heaven sont magiques. From The Edge of the Great Deep Sea entretient la flamme. Le rappel s’étire sur 6 chansons. Le public scande toutes les paroles de l’enchaînement Close to Me / The Lovecats / Why Can’t I Be You? / Boys Don’t Cry. A Forest parachève la prestation, et The Cure quitte la scène. Les lumières se rallument, la sécu commence à vider les lieux. Certains restent immobiles. La fin en douceur d’un week-end riche en événements. Je ne compte plus les sourires radieux sur les visages. Le bébé a grandi. Coachella a de beaux jours devant lui.