« Aussie Invasion », qu’ils ont dit sur le tract. Un truc à faire peur, à pas savoir à quoi s’attendre. Des kangourous venimeux ? Des koalas lanceurs de boomerangs qui tuent ? Des aborigènes armés de didgeridoos à pointes ? Non, juste une soirée avec quatre groupes australiens venus ici pour colporter la bonne parole du rock de là-bas.
Quatre groupes qui ont visiblement déchargé tout leur matos sur la scène. Quand j’arrive dans le Clutch Cargo’s, l’estrade tient plus de l’arrière-boutique d’un marchand d’amplis aux puces de Saint-Ouen qu’autre chose. À se demander comment les groupes vont pouvoir trouver la place pour jouer là-dessus.
On passera la prestation de Neon, qui est venu essayer de convaincre les gens avec sa pop style Stereophonics, sans succès. L’ambiance reste glaciale dans la salle. Même leur guitariste joue avec une écharpe autour du cou, dans le style écrivain maudit.
La première surprise de la soirée vient juste après, sous la forme d’un trio ravageur répondant au nom de The Living End. Leur démarrage est calme. Je me demande même si on va pas devoir se taper une nouvelle demi-heure insipide. Mais au bout de deux chansons, le groupe se transforme en machine à décibels ravageant tout sur son passage. Chris Cheney est époustouflant sur sa guitare, partant dans des impros de feu rappelant tour à tour Van Halen ou Ten Years After. C’est du rockabilly, du punk, du ska, ça rappelle tout et n’importe quoi et c’est bon. Scott Owen fait l’amour à sa magnifique contrebasse électrique noire à damier et monte dessus comme le faisaient les Forbans dans les années 80. Il suit le rythme de son chanteur, qui n’est pas loin de foutre le feuà ses cordes. Cheney harangue la foule, la fait hurler, taper dans ses mains, repart pour une impro de dix minutes et vire carrément punk. L’ambiance est tout de même gâchée d’un coup avec Whose Gonna Save Us?, le dernier single du groupe, une soupe punk-rock d’une banalité affligeante. Heureusement, ce n’est qu’une rapide pause et The Living End finissent leur set en vitesse de croisière, à fond de cinquième. Épatant.
Et mine de rien, quand Jet se pointent, il leur faut entretenir l’ambiance que viennent de chauffer à blanc leurs prédécesseurs. La mission est remplie, mais expédiée rapidos, les gars jouant moins longtemps que The Living End. Jet rappellent tour à tour The Who, AC/DC ou les Stones, déployant une énergie communicative alors que l’atmosphère vire au chaud-bouillant dans le public. C’est du délire sur Are You Gonna Be My Girl?, Take It or Leave It et Get What You Need, Cam Muncey nous pond un solo remarquable juché sur une enceinte. Les chansons sont courtes, nettes et précisément efficaces. À la toute fin, j’arrive enfin à distinguer ce qu’il y a d’écrit sur le T-shirt de Nic Cester (chant) : « Jet owns Detroit ». Ouais, pour le coup c’est pas faux.
Après deux groupes qui n’ont laissé à personne le temps de souffler, The Vines vont être décevants. Déjà, comme souvent dans ce genre de concert à double tête d’affiche, le tiers de la foule est parti, et on doit être pas plus de 400 à accueillir le groupe quand il se pointe. L’heure qui suit est un festival de Craig Nicholls, chanteur ravagé. Je sais pas s’il a décidé de se poser là comme le grand gourou de la soirée du kangourou, mais le bonhomme est surexcité, bordélique, limite navrant. Les autres gars restent dans leur coin et essaient de suivre. Nicholls joue mal et chante faux, se tord sur sa guitare, frappe son micro avec et tourne sur lui-même comme un dingue. Au milieu d’un solo, il part backstage se faire allumer une clope par un roadie, revient et laisse tomber sa guitare devant un ampli pour achever tous les tympans de la salle. Il monte sur la batterie, détruit sa guitare, ajoute deux chansons, détruit une deuxième guitare et élimine dans la foulée son micro, témoin gênant qui avait tout vu.
Musicalement, on passe du rock hystérique et bordélique — grâce à Nicholls — à des choses plus lancinantes. La salle se vide tout au long du set, et à la fin, on doit être plus que 200 quand Nicholls s’échoue amorphe dans les amplis du fond de la scène, en en faisant tomber deux ou trois. Ce mec doit avoir des actions chez Gibson et Marshall.
Pendant cinq minutes, trois roadies jouent au mikado avec le pied de micro détruit pour récupérer le fil, puis The Vines reviennent pour Get Free et Fuck the World, avant de quitter la scène pour aller coucher Nicholls, qui a bien besoin de sommeil.
Soyons honnête, pour cette soirée du kangourock éternel, c’est le boomerang de The Living End qui aurait mérité de revenir pour un ou deux rappels.